Le Prix Nobel de Chimie a été décerné cette année à la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer A. Doudna pour leurs travaux révolutionnaires sur une protéine permettant de modifier le génome et l’ADN avec une extrême précision.
Les deux microbiologistes et spécialistes de la génétique ont découvert et développé des ciseaux génétiques CRISPR / Cas9 capables de “réécrire le code de la vie”, a souligné le jury à Stockholm. Jusqu’à présent, cinq femmes (pour 183 hommes) avaient remporté le Nobel de chimie depuis 1901. Cette année, l’Académie royale des sciences de Suède a également récompensé trois scientifiques pour leurs travaux sur les trous noirs et la découverte d’un objet compact supermassif dans le centre de notre galaxie. Parmi ces trois nouveaux lauréats du Prix Nobel de Physique, une femme : l’astronome et professeure américaine Andrea Ghez.
Elle devient à seulement 55 ans la quatrième femme à remporter le Nobel de Physique pour « sa découverte d’un objet compact supermassif dans le centre de notre galaxie ». Elle a déclaré qu’elle était « ravie de pouvoir servir de modèle pour les jeunes femmes qui envisagent d’aller vers ce domaine.»
Cette consécration nous rappelle que dans le domaine des sciences, les femmes ont toutes les peines du monde à surmonter les préjugés et les stéréotypes pour percer et faire valoir leurs compétences et leurs talents. Depuis 1903, seules 20 femmes ont obtenu un Prix Nobel de Médecine, de Physique ou de Chimie contre 572 hommes primés par la célèbre Académie royale des sciences de Suède. Dans le domaine des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM), moins de 30% des chercheurs sont des femmes (1).
Face à cette sous-représentation et cette disparité entre les genres, il est toujours bon de rappeler que de très nombreuses femmes ont fortement contribué et souvent révolutionné le domaine des sciences. Une contribution inestimable aux parcours semés d’embûches qui leur est réservé depuis l’université jusqu’aux plus hautes sphères du savoir. Pour leur rendre hommage nous avons dressé la liste de dix femmes exceptionnelles qui ont largement contribué à leurs différentes disciplines scientifiques.
1. Katherine Johnson, la première femme ingénieur afro-américaine à la NASA
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Issue d’un milieu relativement modeste, Katherine Johnson (1918-2020) fut en 1938 la première femme afro-américaine à mettre fin à la ségrégation raciale à l’Université de Virginie-Occidentale à Morgantown. En 1953, elle intègre la NACA (ancêtre de la NASA) pour des tâches de calculs mathématiques et qui lui donneront son premier surnom : le “calculateur humain”. Grâce à ses connaissances en géométrie analytique, elle gagne le respect des ses collègues et gravit peu à peu les échelons. En 1969, le petit pas de Neil Amstrong sur la lune est due en grande partie à Katherine Johnson. Son travail sur la mission la plus célèbre de l’histoire de l’ingénierie aérospatiale a été de calculer la trajectoire d’Apollo 11 et ses calculs ont aidé à synchroniser le module lunaire avec le module orbital. « C’était une héroïne de l’Amérique, une pionnière dont l’héritage ne sera jamais oublié » a déclaré James Bridenstine, le patron de la NASA.
2. Ada Lovelace, la première programmeuse de l’histoire
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Augusta Ada King ( 1815-1852) comtesse de Lovelace et fille du poète Lord Byron était une mathématicienne, programmeuse, poétesse, informaticienne, inventrice, traductrice, écrivaine et ingénieure britannique. Elle créa à 28 ans le premier programme informatique de l’Histoire sur la machine analytique du mathématicien Charles Babbage.
Elle bénéficia d’un enseignement à domicile et de cours particuliers axés sur les sciences et les mathématiques à une époque où les jeunes filles de la noblesse sont exclues de l’éducation en général et des matières scientifiques en particulier. Tardivement reconnue comme une pionnière de l’informatique, on a rendu hommage à sa contribution et à son génie en nommant ADA un langage informatique conçu par le département américain de la Défense.
3. Jane Goodall, éthologue et anthropologue britannique
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Née le 3 avril 1934 à Londres, Jane Goodall est une ethnologue et une anthropologue britannique. Les résultats de ses recherches approfondies sur les chimpanzés de Gombe en Tanzanie ont révolutionné la communauté scientifique et fasciné le monde entier. En 1960, elle est la première à observer l’utilisation d’un outil par un singe, un comportement jusqu’alors exclusivement réservé à l’homme et qui fera l’effet d’une bombe au sein de la communauté scientifique.
Avec plus de 30 livres, d’innombrables articles scientifiques et une vingtaine documentaires rendus célèbres par National Geographic, Jane Goodall a non seulement générer une sympathie planétaire pour les singes d’Afrique mais elle a également permis de renforcer leur protection et celle de leurs habitats.
4. Marie-Sophie Germain alias Antoine Auguste Le Blanc
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Passionnée de mathématiques, Marie-Sophie Germain (1776 – 1831) doit ruser pour apprendre et décide de se faire passer pour Antoine Auguste Le Blanc afin d’obtenir les cours de mathématiques de l’école Polytechnique. Déterminée, rusée et tenace, elle va contribuer de manière significative aux mathématiques à travers un théorème qui porte son nom et des travaux sur l’élasticité des corps. Auteur d’ouvrages mathématiques importants, l’un sur la courbure des surfaces et l’autre sur la théorie des nombres, elle a écrit un essai unanimement salué sur la philosophie des sciences. Elle a tout au long de sa vie due lutter pour apprendre les mathématiques. Afin de l’empêcher d’étudier la nuit, son père avait pris l’habitude de confisquer ses chandelles. À la mort de Marie-Sophie Germain en 1831, le fonctionnaire en charge d’établir son certificat de décès la qualifie de rentière au lieu de scientifique, car « ce ne sont pas des affaires de femmes ».
5. Emmy Noether, génie mathématique
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Mathématicienne allemande spécialiste de l’algèbre abstraite et de la physique théorique, Emmy Noether (1882-1935) envisage dans un premier temps d’enseigner le français et l’anglais, langues qu’elle maîtrise parfaitement. Après avoir pris des leçons de piano, appris à cuisiner et à faire le ménage comme toutes les jeunes filles de son époque, Emmy Noether souhaite poursuivre des études de mathématiques à l’université d’Erlangen. Elle devra demander la permission de ses professeurs pour assister à leurs cours et subir la discrimination de l’université qui considère alors que la mixité est un danger pour l’ordre académique. Après avoir obtenu son diplôme, elle accepta d’enseigner sans salaire durant plus de 7 ans à l’Institut de mathématiques d’Erlangen. Pourtant, ses théories déterminantes sur les théories des anneaux, des corps et la théorie des invariants algébriques font de Emmy Noether une des plus grandes mathématiciennes de l’Histoire. Albert Einstein disait que Fräulein Noether est “le génie mathématique créatif le plus considérable produit depuis que les femmes ont eu accès aux études supérieures”.
6. Barbara McClintock, cytogénéticienne américaine et Prix Nobel de médecine
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Barbara McClintock (1902-1999) a obtenu son doctorat en botanique en 1927 après avoir développé une méthode pour l’identification des chromosomes du maïs. La scientifique américaine poursuivra ses recherches dans ce domaine pour devenir l’une des plus grandes cytogénéticiennes du XXe siècle.
Sa découverte des «gènes sauteurs», responsables des mutations et de la résistance des virus aux antibiotiques, lui vaut le prix Nobel de médecine et de physiologie en 1983, 30 ans après ses premiers résultats, une vie de travail et d’incompréhension. Elle est toujours la seule femme lauréate du prix Nobel de médecine à titre individuel.
7. Lise Meitner, scientifique et juive en pleine montée du nazisme
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Physicienne suédoise d’origine autrichienne, Lise Meitner (1878-1968) fut l’élève du physicien allemand Max Planck qui était opposé à l’éducation des femmes, mais séduit par le talent de la jeune femme. Ne pouvant poursuivre une carrière académique, car étant une femme, Lise Meitner va poursuivre ses recherches sur la radioactivité et la physique nucléaire.
Elle est à l’origine de la première explication théorique sur la fission nucléaire et la première à comprendre l’énergie produite par un tel phénomène. Bien qu’ayant contribué aux différents travaux menant à cette découverte, elle ne sera jamais récompensée pour son travail en raison de ses origines juives en pleine montée du nazisme et d’une misogynie largement répandue à cette époque.
8. Rosalind Franklin, la Dame noire de l’ADN
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En 1951, la jeune Rosalind Franklin (1920-1958), physico-chimiste britannique, a commencé ses recherches sur ce qui allait devenir l’une des recherches scientifiques les plus importantes du XXe siècle et qui a conduit à une transformation complète de la médecine moderne.
En effet, Franklin a travaillé sur la diffraction des rayons X pour étudier la molécule d’ADN et a créé la légendaire « Photo 51 ». Cette image de diffraction des rayons X d’une molécule d’ADN a permis à James Dewey Watson et Francis Crick de mettre en évidence la structure en double hélice de l’ADN en 1953. Pour cette découverte, les deux scientifiques obtiendront le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1962 sans jamais reconnaître le rôle essentiel de Rosalind Franklin. Constamment exposée aux radiations, la jeune scientifique meurt à 37 ans d’un cancer des ovaires.
9. Jocelyn Bell, astrophysicienne britannique et “prix No-Bell”
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Susan Jocelyn Bell est née à Belfast, en Irlande du Nord, le 15 juillet 1943. En 1965, Jocelyn Bell a obtenu son Bachelor of Science à l’Université de Glasgow. En poursuivant ses études pour obtenir son doctorat à l’Université de Cambridge elle découvre le premier Pulsar (étoile à neutrons ) connu sous le nom de PSR B1919+21. Malgré son immense découverte, Jocelyn Bell verra son directeur de thèse, Antony Hewish, recevoir le prix Nobel de Physique à sa place ! 50 ans après son rôle important dans la découverte du premier Pulsar, Susan Jocelyn Bell reçoit en 2018 le Prix de physique fondamentale doté de 3 millions de dollars. Elle décide de léguer cet argent à l’Université d’Oxford pour créer une bourse dédiée aux étudiants en physique issus de catégories sous-représentées.
10. Marie Curie, la reine des prix Nobel
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Nous ne pouvions finir ce Top 10 “des femmes de sciences” sans rendre hommage à Marie Curie (1867-1934) qui a montré la voie en devenant la première femme à obtenir le prix Nobel. Arrivée de Pologne en 1891, Maria Salomea Skłodowska obtient deux licences, une en sciences physiques et une en mathématiques, à la faculté des sciences de Paris.
En 1894, elle rencontre son futur époux, Pierre Curie, qui va l’aider dans ses recherches sur une substance inconnue aux propriétés assez curieuses. Nous sommes à l’aube de la physique nucléaire, ainsi que des femmes dans le monde de la science. Ses travaux sur la radioactivité naturelle vont lui permettre d’obtenir le prix Nobel de physique en 1903. Prix qu’elle partage avec son époux et le français Becquerel qui a découvert la radioactivité quelques années plus tôt.
Acharnée et déterminée, Marie Curie va poursuivre ses recherches et obtenir, 8 ans après, son premier prix Nobel … de chimie ! En effet, la scientifique reçoit cette nouvelle récompense pour sa découverte du radium et du polonium et la place irrémédiablement au panthéon de la science. Elle est, encore aujourd’hui, la seule scientifique à avoir obtenu deux récompenses prestigieuses dans deux domaines scientifiques distincts. Figure iconique voire mythique, Marie Curie symbolise, à travers son parcours et sa vie, le rôle crucial des femmes dans le domaine des sciences malgré les préjugés et les stéréotypes.
Sources :
Déchiffrer le code: l’éducation des filles et des femmes aux sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STEM)